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Le temps qui passe

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feuilleton d'automne

 

"L'amour n'existe pas, c'est pour çà qu'il faut le faire..." Cette phrase de Brigitte Fontaine me revient ce matin lorsque je regarde par la fenêtre. Je l'ai écoutée hier soir dans un concert qu'elle donnait avec Areski et qui était enregistré par France Culture. Essentielle Brigitte Fontaine et son langage à la fois soutenu et outrancier, à la fois poétique, éthéré, et charnel, goujat un instant et si délicat à la seconde suivante. Indispensable Brigitte qui claque ses phases aussi bien à la gueule du bourgeois satisfait et repus qu'au prolo endormi et abruti à coup d'écran plat.

Ce matin ses mots sous la musique d'Areski résonnent encore dans ma cervelle et sortent se cogner aux parois de la montagne qui enserrent la vallée. Les arbres sont dépouillés à l'exception des chênes verts qui s'emmerdent sous le gris. Il pleut à quatre cent mètres tandis que la neige recouvrent les hauteurs. Trois degrés, des vapeurs d'eau collent à la cime de quelques conifères. Un coup de fusil résonne. Y'a quelqu'un qui se prend pour AO et chasse par le froid et l'humidité. Tandis que l'un, regrettant sa caverne avançait vers l'ours blanc à la fois craintif et déterminé pour sa survie et celle de son clan, l'autre crapahute avec sa casquette orange et son Remington à renifler le cul du merle plutôt que celui de sa femme. L'amour n'existe pas...

 

 Je prends de plus en plus souvent du monde en stop.  Il en est de plus en plus, comment ne pas voir, comment ne pas s’arrêter. Non pas comme allusion à l’invitation au voyage, version vacances ou bien aventure sac au dos. Mais là, le plus souvent, si ce n’est à coup sûr,  quelqu’un ou quelqu’une, dans la galère, avec une triste mine sur le bord du chemin au sens littéral et puis dans la métaphore qui sied aux temps actuels, dans l’exponentielle course législative qui donne bien du travail et de la légitimité au législateur à son train de sénateur et gratuit et qui met tout un tas de monde hors champ, hors la loi, hors cadre, hors norme parce qu’à vouloir tout légiférer, réglementer, trier, classer, ficher, rentabiliser, optimiser, les humains finissent  par être assimilés à des dossiers, et comme tout dossier incomplet, laissé en souffrance et laissés au bord du chemin. Il y a donc ceux  les doigts dans le nez pour qui çà roule et puis ceux qui marchent en disant  pouce. Ceux qui n’ont pas de taf, pas de thunes, pas d’intérêt  dans le monde  des cracks qui s’en grattent les bourses,  de plus en plus d’humains au bord du chemin qui suivent le leur, chaotique, erratique, ombres  sur le bord des routes de campagne pour être sorties, à force de tourner à vide, des orbites citadines. Celui qui chemine pour répondre aux convocations taquines des antennes sociales diverses, ou pour acheter,  quand c’est encore possible, de quoi bouffer, ou bien se faire soigner, peut être, ou simplement pour rencontrer l’autre,  souvent à l’hôpital,  ou dans un autre chez lui comme un bar à traines misères, pour s’arracher tout simplement, à son isolement. C’est toujours simplement, mais c’est compliqué. Souvent,  une fois la porte claquée, çà sent la clope, ou le feu de bois, çà sent  le désespoir ou çà sent l’ennui ou la solitude, ou les trois réunis,  çà sent des pieds et çà sent les petits rien d’une vie qui a oublié pourquoi, à force d’être oubliée pour ce qu’elle était, précieuse pourtant comme tout à chacun, fragile et plus belle qu’entre toutes un instant, un jour, il y a longtemps ou bien il y a vingt ans, au sortir d’un ventre qui l’a conçue, une vie qui a  les traits tirés comme une gueule de CMU à faire pâlir un spécialiste du refus, les dents sans soins, les visages vieillis prématurément, entre les genoux, souvent aussi un petit  sac plastique, avec de l’air comme dit Souchon, c’est déjà çà. Peu de conversation, juste un moment de répit. Je leur fous la paix. Des humains pourtant, loin de la planète finance, loin de la planète politique, des partis, des syndicats, loin de l’idée d’une bulletin de vote ou même  l’idée d’un droit, loin de la planète fraternité, loin de la planète boulot, loin de tout et même de leurs pompes.

« Quand nous réfléchissons, nous sommes plus petits que nous-mêmes, mais nous ne pouvons pas nous représenter ce que nous sommes, et nous ne voulons pas non plus pouvoir le faire, c’est pourquoi nous ne savons pas ce que nous faisons, ni ce qu’on nous fait. »

 

Cairn,

De Gunther Anders.

 

Lettre à une amie chomiste, d’un chomiste  qui n’en revient pas d’avoir été pris pour quelqu’un qui travaille…

 

Chère toi…,

 

« Colle qui chie colle pas, colle qui chie pas colle pas »…proverbe de compagnon menuisier

 

Ce qui ne colle pas, c’est de se sentir comme dans la peau d’une vieille chanson de Souchon, je suis bidon…

Hier, je suis arrivé dans cette réunion dont je t’ai parlée, comme n’importe quel individu se rendant à son travail. La réunion a démarré promptement, sans me laisser le temps de réfléchir à la situation. Le directeur est intelligent, efficace, mieux il est avenant, gentil, cultivé, sensible, bref comme un ami qu’il pourrait être, comme un collègue de travail comme j’imaginerai qu’il puisse devenir. Directeur de ce centre culturel, il se souvenait de moi, comme quelqu’un de la presse qui couvrait son précédent événement. Alors il m’avait convié à cette réunion pour préparer le suivant. Pire, je me suis pris au jeu. Pire, J’ai aimé çà. Je me disais, voilà un boulot que je fais et qui me plairait.  C’est dingue, j’avais l’impression de travailler, tout comme j’avais le sentiment d’être un peu bluffeur. Mieux, ou bien pire encore, les autres aussi, avaient l’impression que je travaillais, avec ma petite caméra numérique, pour eux, je travaillais pour une télé. L’illusion était parfaite, troublante. Moi je savais qu’il n’en était rien, enfin pas vraiment, enfin c’est compliqué. Je n’ai rien osé dire. Non, Je travaillais et puis c’était passionnant. Une espèce de rêve comme çà, ou bien un film, ouais c’est çà, faire un film, l’histoire d’un mec au chômdu, et qui devenant un peu ouf à force d’être à coté de ses pompes et qui s’invente dans  un boulot. L’histoire d’un gars qui, par son attitude empruntée et à force de regarder le monde la tête en bas, finit par tout inverser, non pas travailler pour vivre mais juste par curiosité, pour savoir s’il en est capable.  Un gars qui vit son propre film dont il est l’unique spectateur au milieu de metteurs en scène qui s’ignorent. Oui qui s’invente et non pas qui invente. Je sais, il est un tragique précédent d’un gars qui se prenait pour un médecin, dans une grande institution en Suisse, joué par Daniel Auteuil. J’aurais pu tout autant avec un autre hasard, me glisser dans un autre scénario, une réunion de gangsters pour préparer le prochain casse,  ou bien me trouver anonyme, sur le plateau d’un tournage de film dans une nuée de figurants et soudainement propulsé à la faveur d’une  bousculade au devant de la scène, allez  toi tu restes là, on se la refait, mon coco. Il en est qui finissent en tôle, ou bien le nez dans un caniveau. Il en est qui se rêvent d’être quelqu’un à force de n’être personne et sont prêts à endosser n’importe quels pardessus. Non moi, je voudrais juste un peu de thunes, enfin pas gros, juste ce qu’il faut, comme disaient les vieux. Y’en a qui courent après la gloire, d’autres après l’argent. On court après ce qu’on n’a pas. Moi, c’est d’la tune, de  la gloire je l’ai eue sur l’eau, comme Surcouf qui m’a donné cette phrase.

  Bénévole, t'as raison c'est bien ma manière d'être qui attire çà. C'est un mot qui me taraude depuis des années et qui me colle comme une ombre  qu’aujourd’hui je déteste, comme une vertu que je piétine à l’heure où ce n’est pas la vie qui devient chère mais l’espérance d’un salaire que l’on guette et attendrait d’une activité soutenue, souvent reconnue dans bien des associations. C’est fou ce qu’on peut travailler quand on n’a pas de boulot et c’est fou ce que la collectivité perdrait si j’en trouvais à ma mesure. « Alors, t’entretiens ton RMI… » Qu’on m’a dit une fois, après une poignée de main dans la rue…Connard, pourriture de triste connard…depuis ce jour c’est la haine des cons que j’entretiens. A coups de bourre pif que j’aurais voulu enfoncer son blaze, ah Bernard Blier... Celui là était tellement con ce jour qu’à le regarder par-dessus on aurait vu toutes ses dents pour parler comme Audiart… Je ne vais pas te refaire le coup de te décrire tous les emplois que j’ai honoré de ma présence gratuite. Dans ma petite vie,  J’ai travaillé officiellement, un peu, et puis aussi au black, beaucoup, aujourd’hui je fais dans le transparent, même que c’est une méthode de gouvernement, la transparence, c’est à la mode, çà veut pas dire qu’on va tout voir, çà veut juste dire qu’on te verra pas, même qu’on verra rien, c’est une idée géniale, tout montrer, tout dévoiler, et tout reste visible comme dans la nuit par temps de brouillard.  Dans cette réunion autour de la table ou cinq personnes étaient conviées à divers titres, comme représentant d’une radio locale ou d’un conseil général, Il y avait une comédienne d’une troupe qui sera invitée en résidence dans le centre, sans qu’elle se douta un seul instant qu’elle avait un « collègue » qui lui donnait la réplique, mais elle semblait intriguée si j’en juge par la persistance de son regard interrogatif à mon endroit. Comme on m’a dit un jour dans une salle d’ANPE, « soyez un acteur de votre réussite ». J’ai dépassé le concept, je suis devenu le comédien et le spectateur de ma vie, du même acabit que les journaux insipides dégueulés aux bouches des métros, je suis un gratuit.

Je n’ai pas oublié  sa manière de scotcher mon regard,  et y’avait donc la responsable en charge de la culture du Conseil Général, et puis un journaliste de Radio Ballades, un mec qui voulait me rencontrer parce que je suis de « la télé » et comme je lui ai dit qu’en fait de la télé j’en étais pas vraiment, je ne l’ai pas revu,  et puis il a  tout le temps gardé son chapeau. C’étaitt un chapeau de cow boy pour la pluie, même qu’on était à l’intérieur et qu’il faisait chaud et qu’il gardait son chapeau et y’avait aussi un instituteur du coin, parce que des enfants participeront à un tournage de film dans sa classe, et puis qu’il faudra faire attention au droit à l’image, ha le droit à l’image…Non c’est pas pour la vertu ou la protection des âmes captives dans l’étrange lucarne, non ce sont souvent les mêmes qui se gavent de la  trash télé, c’est juste  pour savoir s'il y a matière à discussion pour avoir ou être aussi une part de cet immense gâteau qu’ils imaginent en bavant sur le petit appendice, cette obscène excroissance dans l’œil qu’est une caméra numérique ordinaire, avec un petit objectif qui bande tandis qu’on zoome, la fascination ordinaire… et puis le directeur de la médiathèque qui me présenta justement comme « Machin, de la télé… ». Putain de télé, tout le monde dégueule dessus et pourtant il suffit que tu t’en prétendes et on te regarde quoique légèrement agacé, tout de même intéressé…à part un ou deux qui s’en vont en colère et que tu suivrais bien parce qu’ils ont raison et que tu leur expliquerais que c’est pas vrai, que rien n’est vrai et que, tout est illusion jusqu’à cette société qui se mire et que, même elle sent son doigt qu’elle se fourre dans son nombril crasseux pour se trouver encore une trace d’humanité. Ce n’était pas vraiment le moment de s’expliquer, le temps était pour travailler à un projet qui s’inscrit dans une réalité, pas dans l’interrogation confuse d’un gugusse qui a glissé là comme une boule de flipper oubliée et qui se demande encore quand et jusqu’où la prochaine tirette l’enverra dans un autre jeu de quilles. J’avais le plus grand des agendas. Il était vide mais sans doute à la taille de mes rêves dont je ne me souviens jamais, et  sur lequel j’ai pris mes notes, Je sais bien que je ne représente rien, rien d’autre que moi, un allocataire comme tu dis ou bien le roi des kékés comme dirait Brigitte Fontaine, et que je suis bidon, et qu’au-delà de ma très petite caméra comme un petit zizi de toréador face  au taureau qui s’esclaffe, il n’y a que moi et mes rêves et la marque encore rouge des doigts de cette claque cinglante que je me suis infligé un jour de révolte et de démission un jour où je me croyais malin ou bien en colère. Et puis j’ai écouté, plaisanté, besogné, comme n’importe qui d’autre l’aurait fait à cette place, comme un acteur soucieux d’une belle prestation qu’il doit à son public et qui à la suite n’ira pas dans sa loge parce qu’elle n’existe pas, parce je me fais penser à ce gars incroyable présent pendant des années sur toutes les photos des réunions des grands de ce monde, le fameux « imposteur », ce type qui ressemblait tant au rôle qu’on lui laissait tenir jusqu’à trouver normal qu’un fantôme fut présent au milieu de ceux qui s’agitent. Au moins n’aura-t-il fait aucun mal en n'ayant à prendre aucune décision malheureuse et dramatique de conséquences comme ses pairs sur la photo, satisfaits de laisser une virgule dans les chiottes de l’histoire.

Je me souviens de ces heures dans la petite arène de la médiathèque où tu intervenais aussi, et de mes contorsions pour filmer ce petit monde réuni, sans me douter que ces images resteraient dans leurs cassettes perdues sur une de mes étagères. Je me souviens aussi des interviews que je fis « des personnalités les plus représentatives du canton » et qui s’en trouvaient flattées à cette occasion. Ils sont rangés à côté d’une coupe, la bible, les merveilles de la France d’Ernest Grangé, les œuvres complètes de Rabelais, Iliade et l’Odyssée d’Homère dédaigneux du DVD des film des Simpsons arrivé là je ne sais comment.

Voilà un petit aperçu de ce qui ne colle pas, C’est comme çà que je blues depuis hier, j’ai l’impression que je me suis trompé, il y a longtemps. J’ai rêvé que j’étais un oiseau, je ne suis qu’un dodo.

 

Je t’embrasse

 

Moi.

 

 

  *Photo création textile Claire Schneider

 

 

 

 

 

     

 

 

 

 
Il était à nouveau dans son bleu, bien, serein. Il avait oublié les visages qui s’étaient penchés au dessus de lui. Il lui semblait parfois s’enfoncer dans l’asphalte et resurgir jusqu’à l’impression de flotter à quelques centimètres. Voilà qui donnait quand même un sacré chemin à faire pour parvenir jusqu’aux cieux puisque ces derniers semblaient obéir à l’arbitraire du sens commun, se tenir à l’écart puisque placés hors d’atteinte du commun des défunts. Mais nul découragement pour celui qui dans sa vie avait fait du vertige un axiome aussi redoutable qu’antonyme du vieux principe d’Archimède. Et puis les cieux, il leur fallait sans doute  cette distance pour qu’un principe divin puisse prendre de la hauteur et éviter les bruits de la circulation. Un curé, denrée rare en pays parpaillot, lui aussi coincé dans l’embouteillage sortit de sa voiture et s’avança sur le lieu de l’accident. Il se tint au chevet de l’accidenté et  fit, pendant que le moribond s’adonnait aux essais de sustentation, sur ces entrefaites, secours d’une extrême onction au milieu d’une haie de pompiers, lui qui pourtant avait toujours dédaigné les honneurs et préférait en matière de peinture la discrétion des arts minimalistes.
Pour le troisième larron, çà n’allait guère mieux. Nouvel Attesté aux Premiers Secours, il maudissait sa conscience qui le titillait et le sors qui l’avait amené en cet endroit. Il avait acquis son papier sans sourciller et au hasard d’une formation tous frais payés par le conseil général. Agenouillé, il se fendit d’un mal assuré « monsieur, est-ce-que vous m’entendez…là ? Là non plus pensait-il, en se pinçant les lèvres. Il ne savait plus quelle suite on donnait à la question formelle tandis que lui tombait de la poche, son téléphone portable. Voilà qui lui indiqua du même coup, au profit du gisant, ravalé au rang de mannequin, une possibilité d’une suite utile à son embarras. Après avoir inutilement secoué le malheureux étendu, provoquant la stupeur du chauffeur, il ramassait à présent les morceaux du téléphone disloqué sous le choc, comme tout le monde ici. Un bouchon s’était formé et l’on entendait à présent des coups de klaxon. A ses oreilles, ces proclamations sonores ne revêtaient pas plus de délicatesse qu’un gloussement de dindons éructant leur désarroi de vivants devant l’inexplicable attente. Tout cela en rajoutait à la confusion, quand nos deux témoins lâchèrent dans un bel accès d’inopportunité, l’accidenté immobile, pour peu qu’on le laissât dans ce moment d’extrême solitude, pour s’enquérir de la circulation. Ainsi sont les humains devant l’improbable, tant qu’ils ne sont points secouristes chevronnés, à la croisée d’une gouvernementale ardeur dans la fuite en avant et tout à la volonté instinctive d’assurer la continuité et la fluidité du trafic
Pour l’autre, la vie continuait, mais plutôt mal. Descendu de son camion, il ne cessait de répéter merde, merde, merde. C’était aussi la couleur de ce qu’il transportait dans sa citerne.
« Quand même, se faire écraser par un camion de merde », ressassait-il, conscient de l’absurdité de ce destin auquel il était mêlé de plein fouet. Le tragique côtoyait ce matin l’aberrant, qui pépère, foulait l’éphémère et la vacuité. La vidange d’aujourd’hui s’empesait d’un lourd transport, celui d’une vie fauchée, pour honorer à l’heure la première fosse toutes eaux. Et voilà comment, il aperçut au dessus de lui, se pencher le visage du vidangeur, qui lui barrait son bleu, et lui restituant son odeur, alors qu’ayant cru entendre quelque ange précurseur, il s’apprêtait à voir, le visage multimillénaire d’un dieu barbu et… sans aucun doute courroucé d’une telle ineptie. Un ramasseur de crottes s’interposant entre lui et Lui.

 
Il se sentait bien, très bien. Allongé, l’esprit clair, il jouissait d’une confiance et d’une détente jamais atteinte. Jamais pareil sentiment de plénitude et d’infinie décontraction ne l’avait auparavant tant ému. Aucune  autre pensée n’osait s’aventurer à l’envers de son regard plongé dans le ciel. Il ne voyait rien. Il buvait des yeux. Entre sa pensée et l’azur, il n’y avait rien d’autre que son regard perdu. Rien d’autre à faire, rien d’autre à voir que ce bleu tellement doux. Les cieux se laissaient caresser çà et là de quelques cumulus. Il replongeait en enfance. Pas un souffle d’air. Il se voyait dans l’eau avancé jusqu’à  mi taille. Cette fois tout était gris, comme l’ambiance lourde  d’une soirée d’orage.  Dans un mouvement circulaire, ses mains glissaient à la surface d’une mer d’huile, apaisante et si délicieusement fraiche. Il entendit une femme crier « Pauline à table » et dans l’instant suivant, il la vit, plonger devant lui. Après qu’elle eut noué ses longs cheveux, la jeune fille avait piqué de la tête dans le vide. Elle s’était élancée du pont d’un vieux chalutier en bois, qui somnolait là, embossé devant la demeure de son armateur. Elle nageait à présent, semblant filer et fendre la surface des flots avant de disparaitre d’un coup de reins. Il n’entendit que des petits ruissellements, distingua le bruit de ses pieds nus sur les galets crissant. Elle rejoignait la maison cachée par la coque du bateau. Il se revit, après, recroquevillé dans la cour, au soir. Il faisait nuit et froid mais il était bien, alors que tout le monde le recherchait dans la maison. Il fixait la corde à linge et les quelques pinces accrochées. Il lui sembla tout à coup s’envoler et puis se tenir, toujours accroupi, sur la corde. Il tint là quelques longues minutes jusqu’à ce qu’il regarda sur le coté, la fenêtre allumée d’où semblait s’écouler  chaleur et flots de bien être. Il quitta la petite maison de banlieue et se revit à vingt ans. Monts d’Arrée, une vielle bâtisse isolée, Il se tenait devant l’âtre et la jeune femme à ses cotés disait à tous les chevelus qui remplissaient l’unique pièce en terre battue, « demain on lâche tout et on vient vivre ici ». Il se revit en mer, de quart, un soir sur la passerelle. Il venait d’en finir avec son point d’étoiles, sa « crépu ». L’équipage non de quart, regardait un film en plein air sur la plage arrière et lui, assurait pour tous, veille et navigation du  navire aspiré dans la nuit au large. Il se revit plus tard assis au piano, à quatre mains, aux cotés de l’artiste qu’il admirait. Et tous les deux jouaient dans ce bœuf où chacun des musiciens échangeait  son instrument après chaque morceau. Il se revit plus tard encore faisant l’amour sous un chêne lui-même illuminé d’un ciel étoilé, lui sur le dos elle dessus dans un tel balancement  qu’il en éprouvait encore à l’instant le bonheur dissimulé aux âmes saintes. Plus rien n’avait d’importance, tout était important. Il était étendu sur la route, les bras  en croix. A vrai dire, il était mort. Il n’avait pas senti venir le camion qui l’aspira au passage. Rien du choc ne l’avait fait souffrir dans son envolée à la suite de la citerne. Il gisait là, par terre, tandis qu’on s’affairait autour de lui. Il ne les voyait pas, pas plus qu’eux ne reconnaissaient la vie en lui. Le bleu, rien que le bleu du ciel enrobait sa vision et plus rien ne le dérangeait, à cet instant en suspens, tout comme lui, dans les minutes qui suivirent son accident. La journée avait à peine commencée qu’il finissait sa vie comme il était né, soufflé et happé dans un moment de surprise.      
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