Pépère Le Tragique côtoyait ce matin l’immonde en attendant l’aberrant. Il sifflotait au volant. Philosophe à sa manière, il s’était accoutumé à puiser l’éphémère dans la vacuité. De son métier, il conduisait un camion citerne munie d’une pompe à merde. A la vidange d’aujourd’hui s’ajouterait un incident facheux qui tache la chaussée. Pour honorer à l’heure le curettage d’une autre fosse un rien septique mais engorgée, il trimbalait sa mixture à la vitesse des affaires courantes.
Descendu de son camion, il ne cessait de répéter :
-merde, merde, merde comme la couleur de ce qu’il transportait dans sa citerne.
Il venait de m’écrabouiller comme une m…
Et voilà comment, j’aperçus se pencher sur moi le visage du vidangeur, qui me barrait mon ciel de son bleu de travail. Il me restituait son odeur, alors que je m’apprêtais dans des parfums d’encens, à voir le visage multimillénaire d’un dieu barbu sans aucun doute courroucé d’une telle ineptie, à savoir un ramasseur de crottes s’interposant entre moi et LUI.
Pour le troisième larron, çà n’allait guère mieux. Nouvel Attesté aux Premiers Secours, il maudissait sa conscience qui le titillait et le sort qui l’avait amené en cet endroit précis du destin et du récit. Il terminait son plein d’essence à la station de l’autre coté de la chaussée, lorsqu’il entendit les coups de freins.
Il avait acquis son diplôme de secouriste sans sourciller et au hasard d’une formation tous frais payés par le conseil general et avait comme tout à chacun, oublié sa mémoire,car pour vivre heureux il faut oublier, ce qui se conjugue, à titre indicatif, au présent. Agenouillé comme un participe compassé, il se fendit d’un très mal assuré « monsieur, est-ce-que vous m’entendez…là ? Ah, là non plus pensait-il, en se pinçant les lèvres. Il ne savait plus quelle suite on donnait à la question formelle tandis que lui tombait de la poche, son téléphone portable. La chute de l’appareil lui indiqua du même coup, au profit du gisant, ravalé au rang de mannequin, la possibilité d’une suite utile à son embarras, à savoir appeler au secours. Après m’avoir, de façon parfaitement inappropriée secoué, bien que supposé malheureux et étendu, il provoqua la stupeur du chauffeur et du pompiste arrivé derchef, en me laissant retomber sans ménagement, dans une maladresse facultative. Il ramassait à présent les morceaux. Son téléphone disloqué sous le choc, il ne pensait plus au paltoquet inanimé. Un bouchon s’était formé et l’on entendait à présent des coups de klaxon. A ses oreilles, ces proclamations sonores ne revêtaient pas plus de délicatesse qu’un gloussement de dindons éructant leur désarroi de vivants devant l’inexplicable attente. Tout cela en rajoutait à la confusion, et à la pollution, quand nos deux témoins abandonnèrent à la perplexité du pompiste et dans un bel accès d’inopportunité, mezigue accidenté immobile, pour peu qu’on me laissât dans ce moment d’extrême solitude, pour s’enquérir de la circulation. Ainsi sont les humains devant l’improbable, tout à la volonté instinctive d’assurer la continuité et la fluidité du traffic. Et je zieutais tout, d’en haut comme il se doit . Enfin comme dans les histoires de vie après la mort, où on ne sait pas bien si l’on rêve ou bien si l’on rêve. Dans ce cas, j’eus bien volontiers parlé de cauchemar, mais en l’absences de douleurs, d’angoisse et d’apesanteur et sans ennui de cholestérol, je me contenterai à risquer de penser que la chose était pour le moins bizarre. Finalement, vivrait on sa mort comme on a toujours vécu sa vie ? A suivre demain peut être…